La qualité des environnements
Saintes, un problème d’environnements : cette notion comprend celles des échelles de gouvernance, de la taille des objets urbains, des emboitements territoriaux et de leurs articulations. Plus largement, elle recouvre les questions d’intérieur et d’extérieur, de tout et de parties, d’englobant et d’englobé. Dans le cas de Saintes, il s’agit de réorganiser les logiques spatiales à l’intérieur de la ville, pour les mettre au niveau de la nouvelle échelle de gouvernance qu’est l’agglomération en cours de création. La ville comporte pour l’instant un centre relativement faible, relié directement à plusieurs quartiers sans aucune relation les uns avec les autres, dont Boiffiers et la ZUS Bellevue. Surtout, elle met en œuvre des solutions de nature sociale plutôt qu’urbaine et spatiale, qui ont leur efficacité à l’échelle micro mais qui ne suffisent plus à répondre aux enjeux. Il est donc nécessaire de réinstaurer des hiérarchies claires, entre un centre principal (le centre historique), un centre secondaire fonctionnel (Boiffiers) et des quartiers périphériques résidentiels, comme Bellevue, tout en travaillant les articulations entre ces espaces, notamment en termes de transports et de promenades. Les environnements concernent aussi les paysages urbains, que la ville aurait tout intérêt à valoriser, étant donné les atouts dont elle dispose, jusque dans la ZUS Bellevue, dotée d’un point de vue remarquable, d’une proximité à la Charente et de nombreux espaces verts.
L’échelle de la gouvernance est donc désormais adaptée à l’échelle fonctionnelle, ce qui va faciliter l’évolution et le développement de la ville dans l’avenir. En effet, la solution aux problèmes localisés dans les quartiers passe par des solutions fonctionnelles à l’échelle de l’ensemble urbain, qui pourront plus facilement être mises en œuvre à travers l’agglomération. Par exemple, l’action à mener sur les ZUS Boiffiers et Bellevue ne peut pas se concevoir uniquement à l’échelle de Saintes commune, notamment en ce qui concerne les problèmes de transport.
L’interventionnisme social joue d’ores et déjà le rôle de filet de sécurité dans ces quartiers en difficulté. L’entrée dans l’agglomération va permettre d’essayer de régler les problèmes d’urbanité par une intervention sur l’urbain, la ville, etc., avec les moyens de gouvernance adaptés, en termes d’outils et d’échelle. Ce qui permettra également à l’aide sociale de retrouver son échelle d’action micro-locale, particulièrement efficace.
Saintes est en train de devenir une ville littorale, à mesure que la littoralisation de la population française augmente. En effet, la bande dense et urbanisée déjà présente le long de la côte tend à s’étaler, rapprochant ainsi de l’océan des villes autrefois de l’arrière-pays. Saintes est donc amenée à sortir de la Saintonge pour s’installer sur l’Atlantique, beaucoup plus fort économiquement et plus attractif en termes de populations.
Saintes a su parier sur la qualité en effectuant notamment des travaux d’amélioration de ses espaces urbains, comme par exemple la rénovation de la place Bassompierre. Les actions déjà entreprises dans ce domaine augurent bien de la capacité de la ville à porter une attention particulière à son patrimoine, qui est à la fois une source d’identité et d’attractivité. Sa cathédrale, son centre ancien, la luminosité particulière des pierres blanches employées pour les constructions, etc., sont autant d’atouts que Saintes peut valoriser et exploiter pour tenir son rang parmi les villes littorales.
La Charente, qui traverse la ville, est également très présente dans les actions d’urbanisme et surtout dans l’esprit des habitants. Il s’agit visiblement d’une composante de l’identité locale de la population, au même titre que les canaux pour les Vénitiens. Elle donne notamment lieu à la mise en place de parcs et de promenades dans les zones inondables proches de la Charente, par définition inconstructibles, mais pas inexploitables.
La disposition physique des quartiers de la ville offre aussi un point de vue remarquable sur l’ensemble de la ville et sur les espaces naturels de la Charente, depuis le plateau de Bellevue. Ce quartier classé ZUS dispose donc d’un atout majeur, une vue remarquable qui pourrait constituer un argument d’attractivité majeur pour de futures constructions immobilières visant à attirer des populations moins pauvres et à ouvrir socialement cet espace à plus de mixité.
La ville vécue par les habitants est une juxtaposition de quartiers très découpés, sans référence à un centre et à sa périphérie. Saintes semble multiplier les centralités à toutes les échelles, depuis celle de l’agglomération, axée sur le centre-ville, jusqu’aux quartiers ayant chacun leur propre centre, en passant par le noyau composé par le centre-ville et Boiffiers pour la commune, ou encore par le couple Boiffiers et Bellevue pour le plateau.
Les quartiers eux-mêmes seraient divisibles à l’infini en sous parties toujours plus petites, comme dans le cas du plateau, tel qu’il est décrit par les habitants : subdivisé entre Boiffiers et Bellevue, lui-même subdivisé entre le front de Charente et « l’arrière-pays », eux-mêmes subdivisés en groupes de barres distincts, etc.
Plutôt que d’être organisés hiérarchiquement et emboîtés, les espaces urbains saintais sont composés de polarités concurrentes. L’échelle communale présente donc deux centres majeurs et relativement rivaux : Boiffiers et le centre-ville, tout comme Bellevue et Boiffiers sont en compétition pour le contrôle du plateau.
Pourtant, seuls trois niveaux de centralité sont réellement pertinents à Saintes et sont susceptibles d’assurer un fonctionnement normal à la ville :
Les routes, telles que le boulevard de Saintonge ou la route de Bordeaux, ne traversent pas les quartiers mais les délimitent. Il s’agit là d’une matérialisation de la partition urbaine qui se trouve indurée par des dispositifs circulatoires et matériels comme les routes (entre centre-ville et plateau et entre Boiffiers et Bellevue) ou la Charente (entre rive gauche et droite).
Cette réalité morphologique tend à infléchir les pratiques et à marquer les esprits des habitants, tout comme le fait la séparation en hauteur, entre le plateau et le centre-ville. Le fait qu’il faille suivre des routes non aménagées pour les piétons et qu’il faille gravir une côte pour retourner du centre vers Bellevue, décourage les habitants de faire la promenade, alors qu’elle serait tout à fait possible en termes de métriques à couvrir.
La liaison se fait essentiellement en voiture, ce qui élimine de facto une partie de la population non équipée et, surtout, ne permet pas le développement d’autres modalités d’appropriation efficace du territoire urbain dans son ensemble, que sont la flânerie ou la promenade en famille.
Il n’y a que deux espaces au sein de la ville qui soient dotés d’une identité spatiale forte et reconnaissable : le centre-ville et le plateau. Le reste de la ville se trouve dans une urbanité molle et peu identifiable. Cependant, ces deux espaces ne sont pas appréhendés de la même manière. Le plateau est renforcé par un zonage administratif qui l’identifie fortement, y compris de manière stigmatisante, alors que le centre ville est valorisé comme centre historique. Le potentiel positif du plateau, espace urbain massif et original, bénéficiant d’un atout paysager majeur, est handicapé par la catégorie ZUS qui le relègue vers une toute autre image, surtout en comparaison du centre-ville qui a un fort patrimoine à connotation positive.
D’ailleurs, le traitement des problèmes rencontrés dans les quartiers de la ZUS est essentiellement social, alors que le centre-ville bénéficie plutôt de solutions de type urbain pour son développement. Cette différenciation place les deux espaces dans des dimensions différentes, qui ne facilitent pas leur intégration et articulation urbaines.
Une dynamique partielle d’embourgeoisement aura permis de diversifier la population et d’enrichir le niveau moyen de la ville, en attirant des habitants avec des revenus plus élevés et donc un pouvoir d’achat plus important.
Les efforts de valorisation du potentiel environnemental de la ville en auront fait une ville agréable à regarder, où il fait bon vivre et se promener, surtout pour les ménages avec enfants à la recherche d’espaces de nature pour leur famille.
De même, l’aménagement abouti du front de Charente, ajoutera un accès aux espaces d’eau, particulièrement appréciés par les habitants des villes, à la recherche de quiétude et de fraîcheur. Il constituera aussi par endroits un moyen de relier les espaces de la ville, comme le plateau et le centre-ville et n’apparaîtra plus comme une coupure physique dans le paysage et les pratiques.
Le patrimoine historique, entretenu et valorisé, sera un facteur d’attractivité de Saintes, aussi bien pour les nouveaux résidents permanents, séduits par le charme suranné qui se dégagera de la ville, que pour les touristes, trouvant là une opportunité d’excursion dans l’arrière-pays.
Pour parachever cette ambiance hautement qualitative, Saintes aura également investi dans le mobilier urbain, l’éclairage, la signalétique, etc. Elle aura ainsi élevé le niveau de l’offre urbaine, se distinguant ainsi parmi les petites villes de Province, pour le soin apporté à son esthétique et donc à l’espace de vie offert aux habitants.
Cette réussite des apparences s’accompagnera d’une meilleure performance fonctionnelle, par la création d‘une ville lisible, articulant correctement centres, quartiers et espaces publics.
Le centre historique et le plateau seront clairement identifiés et reliés, dans une complémentarité fonctionnelle entre centralité principale et relais secondaire. L’un rayonnera sur l’ensemble de la ville et vers l’extérieur, alors que l’autre aura une aire d’influence de proximité, sur le plateau et les alentours sud-ouest de la ville.
Les quartiers fonctionneront en subordination hiérarchique avec les centres, pour former un tout urbain cohérent, ayant gardé la richesse d’une diversité interne par l’intermédiaire de ses quartiers, sans les inconvénients d’une juxtaposition de pôles autonomes.
Les espaces publics, nombreux et soignés, feront de cette petite ville un lieu à forte valeur ajoutée, par la maximisation des rencontres, des opportunités et des heureux hasards.
Saintes aura gagné en urbanité par rapport à ses voisins, tant à l’échelle communale interne qu’à celle de l’agglomération, voire de la région. Par rapport au volume de ses habitants, Saintes sera plus urbaine que les villes de taille équivalente. Elle disposera d’une offre commerciale et tertiaire plus diversifiée et plus rare, d’un environnement plus qualitatif et d’un fonctionnement général plus dynamique, que ceux qu’on aurait pu attendre d’une ville de sa catégorie.
De ce fait, elle occupera aussi une place plus centrale et plus prépondérante dans le système urbain dans lequel elle sera insérée. Saintes sera en mesure de jouer pleinement son rôle de centre dans l’agglomération, comme pôle d’emploi et de services des communes environnantes et comme moteur économique de l’ensemble urbain ainsi constitué.
Malgré sa petite taille, Saintes occupera la place de centre régional de l’arrière-pays, rayonnant sur l’ensemble de communes situées à l’est de la bande littorale dense et urbaine, comme Rochefort. Elle fera également le relais avec les gros voisins plus à l’est, comme Limoges ou, les moyens comme Angoulême, occupant ainsi une place plus forte et centrale que Cognac par exemple, qui se situe pourtant au même niveau de taille.
Pour atteindre le scénario prospectif envisagé pour 2040, il est nécessaire que la ville affiche une ambition urbaine raisonnable. Il s’agit à la fois d’investir pour augmenter la qualité urbaine de Saintes, sur la même ligne que les efforts d’embellissement et de mise en valeur réalisés jusqu’ici, tout en ne fixant pas des objectifs irréalistes, qui ne sauraient être atteints.
Saintes est une ville moyenne qui le restera et qui ne peut prétendre à devenir l’équivalent de Poitiers ou La Rochelle. Elle peut en revanche parier sur sa petite taille comme un atout d’attractivité pour urbains en quête d’un meilleur équilibre entre le niveau de l’offre urbaine des grandes villes et la qualité de vie offerte par les petites villes.
Il n’est pas question pour autant d’adopter une approche « cosmétique », qui ne s’intéresserait qu’à l’esthétique urbaine. Cette dernière est un élément non négligeable de l’offre urbaine et de l’attractivité d’une ville, mais elle ne saurait être une solution suffisante pour assurer le dynamisme de Saintes d’ici les trente prochaines années.
Ces investissements devront donc s’accompagner d’une réflexion plus générale sur l’articulation des différents quartiers, sur la mise en place d’une véritable hiérarchie urbaine entre les espaces (notamment centre historique et plateau) et sur le développement de liaisons diversifiées (qui ne se limitent pas à des routes).
Le quartier de Bellevue souffre de sa classification en ZUS, qui le classe dans la catégorie des espaces urbains en difficultés, nécessitant avant tout des mesures sociales et économiques pour rattraper leur retard sur les autres quartiers de la ville. Pourtant, Bellevue n’est pas une ZUS comme les autres, à l’instar du nom qu’elle porte. Elle dispose d’atouts paysagers et patrimoniaux (par exemple, l’ancienne tour en pierre), dont la valorisation adéquate pourrait constituer une réponse efficace aux problèmes actuels. Elle pourrait en effet entraîner un embourgeoisement partiel du plateau, conduisant à une élévation du niveau de vie local, donc à une amélioration qualitative et quantitative de l’offre et plus généralement à une redynamisation.
Il s’agit alors de faire un choix drastique, conduisant à changer radicalement le statut du quartier Bellevue en abandonnant la prépondérance du logement social, pour privilégier les accessions à la propriété pour des ménages à niveau de revenus plus élevé, dans des constructions répondant à leurs attentes. Le pari serait alors celui de faire de Bellevue un moteur d’entraînement (économique et d’image) pour le reste du plateau et, indirectement, pour la ville toute entière, par l’arrivée de nouveaux actifs et consommateurs.
Saintes doit parier sur le développement de son urbanité relative et sur son insertion dans le réseau urbain régional pour espérer tirer son épingle du jeu. Elle ne peut pas essayer de devenir une grande ville, accumulant un fort de gré d’urbanité absolu, au même titre que La Rochelle ou Poitiers, car elle ne possède pas la capacité de croissance nécessaire et que l’environnement concurrentiel est trop important pour lui laisser une place de ce niveau.
En revanche, Saintes peut s’employer à devenir la meilleure de sa catégorie, voire à dépasser ses quelques voisins plus gros, par le déploiement d’une stratégie de spécificité systémique. Il s’agit de trouver un créneau qui lui soit propre et qui soit unique dans l’ensemble urbain régional, pour lui permettre d’avoir une spécificité incomparable dans ce système urbain et donc d’asseoir sa centralité et son attractivité vis-à-vis des voisins.
On entend par là une spécificité qui soit liée à son urbanité et non à un moteur externe comme l’installation d’une activité qui en ferait un bassin d’emploi régional. Une telle évolution serait improbable et peu durable, dans la mesure où la ville souffrirait d’une spécialisation économique fragile et monopolisante, qui handicaperait sa croissance d’ensemble. Il s’agit donc de trouver et construire un caractère urbain spécifique, qui confère une image, une identité et une attractivité spécifiques à la ville.
Élus, professionnels et habitants ont évoqué une petite ville endormie, où l’on s’ennuie un peu, malgré le charme de son environnement, sa position régionale « centrale » et sa proximité avec le littoral atlantique. Les attentes ont convergé vers un renforcement de la position et de l’attractivité de Saintes, vis-à-vis de ses habitants, de ses voisins et des flux touristiques. Tout en soulignant l’intérêt des politiques sociales mises en œuvre, les participants ont insisté sur le besoin d’aménagements urbains, notamment en termes de liaisons, qui permettent à la ville de changer de statut et d’échelle de rayonnement.
Les participants, élus, professionnels et habitants, ont souligné le manque de dynamisme de la ville, qui irait en rapetissant comparativement à ses voisines régionales (La Rochelle, Poitiers, Bordeaux). Les habitants ont notamment critiqué une offre urbaine culturelle et récréative faible, surtout en nocturne et les jours fériés. Avec pour corollaire une faible attractivité vis-à-vis des populations jeunes (étudiants, jeunes couples sans enfants, etc.) et des touristes, qui ne font le plus souvent que passer par Saintes en allant vers les stations littorales.
La ville présente aussi une carence certaine en termes de transports publics, dont les lignes sont peu nombreuses et peu fréquentes. Cet état de fait se traduit par un isolement croissant des quartiers défavorisés situés sur le plateau à l’ouest de la ville, dont le risque est le repli communautaire sur un espace excentré mais bien achalandé et relativement plaisant, ou le redéploiement des activités vers la périphérie, autour des centres commerciaux, voire des villes voisines.
Bien que les habitants de Bellevue et Boiffiers pratiquent la marche à pied, l’accès au centre-ville reste difficile, ce qui limite les brassages de population dont il pourrait être porteur. Les politiques d’accès au logement en centre-ville visant à favoriser une mixité démographique sont sans doute handicapées par la faiblesse des liaisons et des circulations intra-urbaines, contrebalancées par l’usage omniprésent de la voiture, renforçant les dynamiques centrifuges.
Un des principaux enjeux ressorti des réunions est donc celui du passage de la ville à une autre échelle urbaine, plus grande et plus centrale. La comparaison avec les villes voisines a clairement mis au jour le besoin de changer le statut de Saintes, en passant de celui de petite ville satellite profitant des grandes à celui de centre régional important et attractif, avec lequel compter. Si les habitants n’ont bien sûr pas exprimé cette attente en termes institutionnels et politiques, comme l’ont fait les élus en parlant de la construction d’une agglomération administrative, l’objectif est visiblement convergent : entrer (ou plutôt revenir) dans la cour des moyens-grands.
L’évolution vers une position renforcée dans le réseau urbain régional ne peut cependant se faire, aux yeux des habitants notamment, sans un accompagnement en termes d’aménagement urbain. Pour faire centre, Saintes doit développer la cohérence de son espace urbain interne.
Pour l’instant, il existe d’une part le centre-ville, remarquable pour sa beauté architecturale mise en valeur par la lumière particulière, mais qui reste petit, faiblement attractif et difficilement identifiable, pour les habitants comme pour les touristes. De ce fait, les avantages potentiels de Saintes du fait de sa situation géographique se traduisent surtout pour l’instant par une mobilité des habitants vers l’extérieur, et très peu par une attractivité vis-à-vis des autres, qui pourraient contribuer au développement de la ville.
D’autre part, on trouve le quartier Boiffier et la ZUS Bellevue, qui font figure d’exception comparativement aux standards nationaux, puisqu’ils présentent une qualité d’environnement (bâti, espaces verts, point de vue) remarquable pour Bellevue, et une diversité d’équipements induisant une polarisation de l’espace urbain limitrophe pour Boiffier. Ces deux quartiers occupent également une position géographique stratégique, près de l’axe transversal reliant Saintes aux autres villes de la région (Bordeaux notamment) et sur les axes reliant la ville à ses périphéries productives au sud-est et au sud-ouest.
Ces trois espaces sont nettement séparés physiquement (par le dénivelé), socialement (entre le centre-ville plus riche et les quartiers plus pauvres, mais aussi entre Boiffier et Bellevue, ce dernier étant considéré comme davantage en difficulté), et administrativement (Bellevue étant une ZUS mais pas Boiffier). Les quartiers sont également mal reliés au centre-ville et, dans une certaine mesure, communiquent peu entre eux, malgré leur proximité physique. Ils tendent donc à fonctionner de manière autonome.
De ce fait, ils sont, pour l’instant, plus concurrents que complémentaires, ce qui ne favorise pas la dynamique de croissance urbaine recherchée. Les efforts d’investissement ayant beaucoup porté sur des interventions d’ordre social, visant à compenser le niveau de pauvreté des quartiers Boiffier et Bellevue, il reste une marge de progression importante dans la mise en relation urbaine de ces espaces. Les habitants ont, par exemple, souligné le potentiel que représentent les liaisons entre le plateau et le centre-ville, notamment en suivant les bords de Charente, qui pourraient constituer une promenade plaisante et attractive, valorisant d’autant ses deux points d’ancrage : le centre-ville et le quartier Bellevue.
Il semble aussi plus stratégique, comme l’ont affirmé les élus lors de la première réunion, de considérer le plateau comme un espace unique, plutôt que d’en isoler les composantes. Ce dernier pourrait alors fonctionner comme un relais de centralité du centre-ville, en complémentarité fonctionnelle avec ce dernier.
Ainsi, le centre-ville pourrait investir davantage son statut de vitrine de la ville à l’échelle locale et au-delà, en essayant de répondre à la fois aux attentes de captation des flux touristiques et à celles d’une offre urbaine plus diversifiée. Le plateau pourrait, lui, être investi d’une centralité secondaire, polarisant uniquement l’échelle locale de proximité.
Au sein même du plateau, la diversité des espaces existants, notamment la qualité environnementale et architecturale de Bellevue, pourraient organiser des gradients d’urbanité, entre un centre actif et son voisin plus résidentiel, potentiellement attractif pour des populations « aisées », recherchant un lieu de vie proche des centres mais préservé.
Saintes présente des atouts non négligeables pour réaliser le saut qualitatif et quantitatif préconisé en termes de prospective urbaine, mais elle souffre du poids de certains stéréotypes limitant les perspectives d’avenir envisagées : celui de la pauvreté et de la problématique sociale dans lesquelles seraient empêtrées les ZUS ; celui d’une situation géographique centrale qui serait un atout d’attractivité automatique ne nécessitant pas d’intervention particulière. Les principaux enjeux d’avenir travaillés avec les habitants découlent donc de là : parier sur l’authenticité du patrimoine (architectural et naturel) pour renforcer l’attractivité et la croissance urbaine ; faire du lien pour créer des synergies positives.
Dans la perspective du cap prospectif envisagé pour Saintes — changer d’échelle — un obstacle majeur a été identifié dans le dialogue avec les habitants, celui d’une approche trop systématiquement sociale des problématiques urbaines. Les quartiers de Boiffier et de Bellevue sont, avant tout, considérés en termes sociaux, comme des ensembles pauvres et en difficulté — plutôt que des espaces — qu’il convient de soutenir par des aides économiques et éducatives. Leurs caractéristiques spatiales entrent difficilement en ligne de compte dans les discours des habitants (relayant les discours des politiques) pour expliquer les dysfonctionnements constatés ou pour envisager un avenir différent. Par exemple, la question de la faiblesse de l’offre commerciale sur le plateau ou de la piètre qualité des transports publics reliant ces quartiers sont systématiquement reliées à des questions économiques : les clients seraient trop pauvres pour que les commerces fonctionnent et les lignes de transport ne seraient pas rentables.
Réciproquement, le seul espace considéré comme « riche » et pouvant potentiellement s’enrichir est celui du centre-ville, qui se détache très nettement des quartiers Bellevue et Boiffiers par sa composition sociale et qui est, de ce fait, perçu comme automatiquement légitime pour continuer dans cette voie. Pourtant, le quartier Bellevue, de par sa situation et son environnement, constituerait un excellent candidat à la gentrification, si l’étiquette ZUS et le stigmate de la pauvreté ne lui conféraient pas une image difficile à dépasser. Conformément au stéréotype lié aux ZUS, quartiers ayant souvent une forte composante de population étrangère ou d’origine étrangère, les atouts mis en avant par les habitants pour Bellevue et Boiffier sont ceux d’une hypothétique mixité sociale et d’une relative absence de tensions entre communautés.
Il semble apparemment difficile pour les habitants de s’approprier l’idée que l’avenir d’une ZUS n’est pas forcément de le rester, ou, au mieux, de devenir un peu moins pauvre, même quand celle-ci présente tous les atouts potentiels pour devenir un quartier de ville attractif. Cette prospective peut même sembler irrecevable à quelques uns, comme si certains espaces étaient légitimement aptes à s’enrichir, alors que d’autres étaient condamnés à rester pauvres.
L’autre étiquette qui pèse sur la projection prospective des habitants est celle de la soi-disant centralité de Saintes. La proximité objective avec l’océan et avec quelques villes dynamiques de la région est assez systématiquement avancée par les habitants comme un atout existant, à mettre davantage en valeur. Or, une position centrale par rapport à certaine ressources ne garantit en aucun cas une centralité pour la ville concernée, elle peut même constituer un obstacle du fait de la concurrence environnante. Surtout, elle peut devenir l’arbre qui cache la forêt et empêche de se projeter dans un avenir urbain réaliste.
Les conversations menées avec les habitants montrent au contraire que Saintes manque d’une image forte, rassembleuse et attractive, qui ne peut en aucun cas être véhiculée par le simple fait d’être « proche de ». De ce fait, elle devient une ville visitée par défaut et fonctionnant par intermittence (en semaine et en saison estivale surtout), qui ne parvient à retenir l’attention ni de ses habitants, ni des touristes de passage.
Dans ce contexte, un des principaux enjeux finalement identifiés avec les habitants pour se diriger vers le cap prospectif retenu est celui d’assumer les atouts réels de la ville et de les exploiter à leur juste mesure.
Il va donc s’agir de mettre en valeur la beauté des paysages et des espaces verts déjà existants, mais pas seulement au centre-ville. La ZUS de Bellevue bénéficie d’un potentiel non négligeable dans ce domaine, qui mériterait d’être valorisé, car il peut être porteur d’avenir pour le quartier s’il permet d’attirer une population plus aisée, pouvant dynamiser l’économie de l’ensemble du plateau, par exemple en fournissant des clients potentiels aux commerces et équipements situés à Boiffier ou même au centre-ville.
De manière générale, l’enjeu serait de redonner du cachet et du lustre à la ville, en commençant par son centre mais sans en exclure d’autres espaces, en pariant sur le fait que l’esthétique urbaine est aussi un moteur d’attractivité, qui peut faire évoluer des espaces, de manière très complémentaire avec les politiques plus volontaristes de diversification des populations ou de relocalisation des équipements et des commerces.
Une telle stratégie contribuerait également à donner davantage de cohérence à la ville, en réduisant les écarts existants entre ses différents espaces (centre-ville, rive droite, plateau) et en produisant ainsi une matrice d’identification collective autour d’un espace commun. L’image de marque de la ville, en interne comme vis-à-vis de l’extérieur, ne viendrait pas d’un équipement ou d’un événement particulier, comme pour certains voisins, mais d’une impression générale de qualité et de douceur de vivre.
Le deuxième enjeu sur lequel se sont concentrés les échanges avec les habitants est celui de la mise en relation des différents espaces, indispensable pour assurer un fonctionnement intégré à la ville. On pense tout d’abord à la liaison entre le plateau et le centre-ville, tant depuis Boiffier que depuis Bellevue. La première pouvant relever des transports publics et d’une amélioration des liaisons routières, alors que la seconde serait de l’ordre d’une promenade plantée le long de la Charente, pour un autre type de pratiques.
À plus petite échelle, les habitants ont également insisté sur la nécessité d’organiser du lien — et notamment de travailler la route de séparation — entre Boiffier et Bellevue, afin de favoriser l’intégration du plateau et donc son fonctionnement comme centre secondaire de la ville. Il ne s’agit donc pas de développer chaque quartier séparément, au risque d’en faire des bulles autonomes, mais de valoriser les atouts complémentaires de chacun dans leur mise en relation : Boiffier comme centre de services au vu des équipements scolaires, médicaux, culturels et commerciaux déjà existants ; Bellevue comme vivier résidentiel de clientèle.
À grande échelle aussi les liaisons sont apparues comme décisives, pour favoriser la polarisation des périphéries actives de Saintes avec le centre secondaire du plateau et pour optimiser les relations avec la côte et ses villes principales. Une manière concrétiser la position centrale de la ville sur le papier de la carte en lui conférant la réalité des pratiques urbaines des habitants. L’idée étant ici que le renforcement de la connexion déjà existante entre les « deux villes » pourrait contribuer à l’enrichir par effet de redistribution plutôt que de lui faire de l’ombre.