L’exercice de prospective urbaine participative appliquée aux ZUS (Zones Urbaines Sensibles) a la particularité et la nouveauté d’intégrer des habitants dans son processus. L’habitant est ici considéré et écouté comme porteur d’un savoir spécifique et pertinent sur sa ville, qui mérite d’être pris en compte pour sa significativité, facteur de compréhension des logiques à l’œuvre).
Une telle démarche implique de mettre en œuvre une méthodologie différente, capable d’intégrer ces nouveaux acteurs dans l’exercice et d’assurer ensuite le dialogue entre ces derniers et les autres parties prenantes, à savoir les élus et les professionnels, ainsi que le commanditaire dans ce cas précis : le SG-CIV. Pour cela, il a fallu mettre en place :
Pour assurer une reproductivité potentielle à cette expérience inédite, un guide méthodologique a été réalisé, afin de transcrire aussi précisément que possible les conditions de fonctionnement optimal de l’exercice.
Les réunions de prospective participative appliquée aux zones urbaines sensibles s’adressant à un public très divers, sans expertise particulière de la politique urbaine ou de la démocratie participative, il est nécessaire de proposer un cadre d’échanges qui favorise autant que possible la prise de parole libre, spontanée et informelle, permettant à chacun de s’exprimer à sa façon et à son rythme, sur les sujets qui lui semblent pertinents.
C’est la raison pour laquelle les réunions porteront chacune sur une thématique spécifique mais qu’elles ne comporteront pas d’ordre du jour prédéfini. Le contenu de chaque réunion, bien qu’il s’inscrive dans une progression connue et expliquée aux participants, doit rester souple et adaptable. L’animateur doit être capable de rebondir sur les thématiques abordées par les habitants pour les travailler avec eux et en tirer le plus d’informations possible.
Si un sujet semble particulièrement riche à explorer et que les participants ont beaucoup de choses à exprimer, il est tout à fait possible de lui consacrer une réunion entière, en partant du principe qu’il est particulièrement significatif des logiques de fonctionnement de la ville et qu’il est donc très efficace pour aider à en penser une prospective.
Il n’existe pas de grille préalable à remplir par l’animateur ou de liste d’items à cocher, car le principe de l’exercice est de se laisser informer par les habitants et d’orienter les analyses d’expert sur la base des thématiques qui seront ressorties des conversations durant les réunions. La seule consigne systématique reste donc celle d’approfondir au maximum chaque sujet évoqué par les habitants, pour essayer d’en comprendre précisément les tenants et les aboutissants et pouvoir ensuite l’intégrer efficacement dans l’élaboration effectuée par les experts, hors réunion.
Son rôle est assez complexe et subtil dans la mesure où l’animateur doit établir les meilleures conditions possibles pour la conversation — liberté, confiance, écoute — tout en gérant sa réunion de telle manière que les objectifs de l’exercice soient atteints : récupérer un maximum de matériaux brut sur les différentes thématiques abordées au fur et à mesure des réunions.
La prise de parole de l’animateur doit donc relever surtout de :
Pour que les participants ne se sentent pas perdus et qu’ils puissent se référer à des repères clairs avant de se lancer dans la conversation à bâtons rompus, il est nécessaire de prendre le temps (lors des deux premières réunions, R1 et R2), de leur expliquer précisément la nature et le contexte de l’exercice, la méthode employée, la progression des réunions et les résultats attendus. Ces deux premières réunions seront d’ailleurs l’occasion de discuter avec eux d’une approche et d’une méthode qui leur seront très probablement inconnues et qui susciteront immanquablement des questions.
La prise de parole doit donc être spontanée, sans distribution des tours et temps de parole par l’animateur, pour valoriser l’engagement personnel dans la conversation et pour favoriser l’écoute des autres — car dans le cas des tours de parole, les individus tendent à se concentrer sur ce qu’ils vont avoir à dire plutôt que sur ce qui se dit autour d’eux. Le fait de venir aux réunions et de s’impliquer dans les échanges est déjà une forme de participation citoyenne, qui doit être encouragée comme telle. Les participants étant considérés comme des acteurs urbains à part entière, il est nécessaire de les traiter comme tels et de leur laisser toute liberté dans le degré d’investissement et d’exposition au cours des réunions.
Il faut également mettre les habitants en situation de confiance, en mettant en place des conditions et des règles de fonctionnement adaptées. Il est toujours utile de rappeler au début des réunions que toutes les opinions sont les bienvenues, que chaque participant à droit à l’écoute des autres et que les assertions qui seront relevées durant les réunions resteront parfaitement anonymes.
Il est également souhaitable que l’arrangement de la salle de réunion ne soit pas trop formel et que la disposition de la salle favorise les échanges sous la forme de la conversation :
Le recours à la cartographie est un bon moyen pour animer les réunions, car il est à la fois pédagogique et interactif et qu’il représente un complément intéressant à l’expression orale. Pour éviter que les réunions ne tournent au commentaire de carte ou aux réactions des uns et des autres vis-à-vis de schémas proposés, il est recommandé de réaliser les illustrations graphiques (cartes, courbes, schémas, etc.) en cours de réunion, comme un écho aux propos échangés. La carte peut alors avoir une fonction d’approfondissement, en aidant par exemple à situer précisément les lieux dont on parle et peut permettre de relancer la conversation en obligeant les habitants à se mettre d’accord sur les éléments graphiques qui seront dessinés et collectivement retenus. Ce choix a notamment été fait pour les R3, visant à recueillir des données sur les ressources de la ville, au cours desquelles il a été proposé aux habitants de réaliser ensemble une carte de leur ville sur paper board (informations proposées par les habitants et reportées par l’animateur)
Le recours à des schémas peut aussi être utile à l’expert pour expliciter des idées plus ou moins complexes, soit proposées par lui, soit avancées par les habitants et qui nécessitent d’être clairement formulées et comprises par toute l’assistance. C’est le cas notamment en R5, où les propos sont plus génériques et moins concrets que dans les réunions précédentes et peuvent gagner à être illustrés pédagogiquement.
Enfin, la séance de restitution en R6 gagne à être abondamment illustrée, pour aider les élus et les professionnels à s’emparer de l’ensemble du matériau produit grâce aux quatre réunions avec les habitants et pour expliciter les propositions urbaines portées par les visions prospectives. Dans ce cas précis, l’accès à Internet et l’équipement de la salle avec un video-projecteur est recommandé, dans la mesure où il permet de localiser très précisément les lieux cités à échelle micro-locale grâce à Google earth et Google maps, et parce qu’il permet de projeter des diapositives comportant des schémas explicatifs.
Le contenu des échanges, relevés en prise de notes par l’animateur et/ou un expert durant la réunion, n’est pas transcrit tel quel. Il est traduit hors réunion en une série d’assertions sélectionnées par les experts comme particulièrement significatives d’une thématique, d’un processus, d’une pratique, etc., ayant émergé durant la conversation et faisant sens par rapport à l’objectif visé par l’exercice, à savoir la construction d’une prospective urbaine.
Les réunions n’étant pas une chambre d’enregistrement des doléances exprimées par les habitants sur tel ou tel sujet — d’autres lieux sont destinés à cet effet, comme les conseils de quartier —, les informations qui seront conservées à l’issue des réunions et traduites sous forme d’assertions concerneront uniquement des données permettant d’augmenter la connaissance des logiques de (dys)fonctionnement de la ZUS et de la ville.
Les analyses des experts sur la ZUS et la ville étant fondées sur les pratiques des acteurs urbains, il est recommandé de demander aux participants de s’exprimer à la première personne, sur du vécu subjectif, et de laisser de côté les formules générales et peu argumentables telles que « les gens pensent que », « on dit que », « il y en a qui », etc. Pour pouvoir creuser une idée lancée par un habitant, il faut que celle-ci relève d’une expérience réellement vécue par ce dernier, sur laquelle il pourra fournir des détails et ainsi abonder les échanges avec les autres sur des bases précises.
C’est la raison pour laquelle il faut retenir et transcrire des assertions aussi circonstanciées et précises que possible, comportant des notions de lieux, de moments, de moyens, détaillant la pratique concernée, le type d’acteur, etc.
Les bons mots (« Si on continue comme ça, on va devenir Châteautrou. »), les comparaisons frappantes (« Le building du centre-ville c’est La Défense de Châteauroux. » ; « Saint-Jean c’est le petit Versailles. ») ou encore les affirmations paradoxales (« Les dealers de mon immeuble sont très gentils. » à Vénissieux ; « Je n’aime pas la ville mais la vie que je peux y mener. » à Calais) sont bien sûr des assertions à retenir. Mais il faut aussi, et peut-être surtout, s’attacher aux assertions concrètes, souvent moins faciles à identifier, mais très significatives (« Le soir après le boulot, je peux aller mettre les pieds dans l’eau en 40 minutes. », à Saintes ; « Au centre-ville tout ferme après 21h. », à Évreux).
Formellement, les assertions peuvent se présenter sous la forme de citations entre guillemets de l’un ou l’autre des participants, ou sous la forme d’une phrase synthétique rédigée par les experts, pour résumer une série d’échanges ayant retenu leur attention.
Les assertions étant la brique élémentaire de construction des futures synthèses et visions prospectives, elles doivent être soigneusement découpées en idées-clés. Chaque assertion ne doit donc exprimer qu’une seule idée, processus, pratique, etc. afin de ne pas effectuer des assemblages d’idées a priori. Il sera donc nécessaire pour l’auteur(e) des comptes-rendus de dissocier les idées une par une, à partir des discours des habitants qui vont au contraire les associer les unes aux autres, en pratiquant une dissection systématique de leurs propos.
Pour que les comptes-rendus ne soient pas de simples transcriptions et qu’ils soient exploitables pour la seconde partie du travail — élaborer des prospectives —, il est en revanche nécessaire de ne retenir d’une seule assertion par idée-clé, même si plusieurs habitants se sont exprimés sur le même sujet. Il faut alors sélectionner la meilleure citation, c’est-à-dire la plus significative et la plus explicite, ou bien rédiger une phrase de synthèse ad hoc.
Chaque assertion est accompagnée d’une explicitation, qui peut avoir cinq fonctions principales :
La rédaction des comptes-rendus de réunions ne se limite pas à la sélection des assertions et à leur explicitation systématique. Elle passe aussi par l’organisation des assertions en sept enjeux distincts, correspondant aux sept grandes problématiques du fonctionnement urbain identifiées par les experts de QualCity : urbanités, populations, environnements, voisinages, conservation, politique, stratégie.
La décomposition en sept catégories d’enjeux est le fruit d’une convergence entre une approche théorique de la ville par les sciences sociales, à partir de laquelle sont connues les principales problématiques auxquelles sont confrontés les décideurs urbains, et une approche empirique de chacune des sept villes partenaires, présentant des questionnements qui lui sont propres. Chaque ville est ainsi représentative d’un des sept enjeux, qui y est plus prononcé que les autres, même si tous sont systématiquement présents. Néanmoins, la grille interprétative ayant un fondement théorique fort, elle peut être appliquée sans difficulté à d’autres villes, dont les défis trouveront certainement un écho dans les catégories définies pour cet exercice, auxquelles on a volontairement conféré une portée générale.
Cette organisation récurrente présente deux avantages. Tout d’abord, elle permet de passer les six réunions au filtre de ces grands enjeux, et donc d’orienter les propos tenus durant les conversations vers une élaboration en rapport avec l’objet de l’exercice, à savoir une meilleure compréhension des logiques de fonctionnement des villes moyennes partenaires, permettant des propositions stratégiques pour leur avenir. Ensuite, elle donne la possibilité de traiter les différentes villes selon une grille commune, qui favorise les rapprochements et les comparaisons, pour donner à l’exercice une portée aussi bien locale que nationale.
En sus du classement par enjeux des assertions, chaque compte-rendu est accompagné de micro synthèses en tête de document et en tête de chaque enjeu pour retenir les idées principales et donner une visibilité immédiate aux problématiques retenues pour la future élaboration des visions prospectives. Les comptes-rendus comportent donc cinq niveaux de sens, allant du plus analytique au plus synthétique et au plus élaboré :
L’exercice de prospective participative mis en place se découpe en deux phases successives :
À l’issue des réunions 1 et 2, il est possible de dégager un cap prospectif pour la ville, c’est-à-dire de définir le questionnement autour duquel se construira la vision prospective, ainsi que l’enjeu principal auquel est confrontée la ville, parmi la liste des sept défis cités précédemment. Par exemple, au cours de cet exercice, le cap prospectif ressorti pour la ville d’Allonnes était : « Renouveler la ville et sa population », ressortissant à l’enjeu « Populations », car la ville est confrontée à un grave problème de vieillissement. Pour la ville d’Amiens, le cap prospectif était : « Créer de la cohésion urbaine par des lieux communs », ressortissant à l’enjeu « Conservation », car la ville doit impérativement trouver le moyen de se ressouder autour de valeurs communes.
La réunion 3 doit permettre de « dessiner » une carte des ressources de la ville, c’est-à-dire des opportunités qu’elle offre et des potentiels sur lesquels s’appuyer pour construire la vision prospective sur des bases vraisemblables. Il ne s’agit pas de demander directement aux habitants de lister les potentialités de leur ville, mais de réunir suffisamment d’informations sur les logiques de fonctionnement urbain pour que les experts puissent, dans un deuxième temps, produire cette carte. Elle constituera le chemin par lequel on pense pouvoir atteindre le cap prospectif issu des deux premières réunions.
Cette première phase fait l’objet d’une synthèse, qui a pour objectif de mettre par écrit et de pouvoir communiquer (auprès du commanditaire et/ou de la ville partenaire) les cap prospectif et carte des ressources élaborés pour la ville concernée. Celle-ci se fonde sur les comptes-rendus, qu’elle doit citer pour donner des exemples concrets, mais aussi sur les connaissances plus génériques du phénomène urbain, que les experts auront injectées dans l’interprétation.
La réunion 4 donne accès aux obstacles qui pourraient se dresser sur la route du cap prospectif, en tenant compte des ressources dont dispose la ville. Il ne s’agit donc pas d’interroger les habitants sur ce qui pose problème dans leur quartier ou dans leur ville aujourd’hui — démarche qui est sans objet pour un exercice de prospective — mais de les amener à se projeter dans une vision d’avenir calée sur le cap prospectif et de discerner à travers leur discours les pierres d’achoppement potentielles. Pour filer la métaphore maritime, la R4 sert à construire le radar.
Les obstacles identifiés sont d’ailleurs plus souvent liés aux pratiques et aux représentations des habitants, pas toujours compatibles avec les évolutions préconisées, qu’à des questions de faisabilité technique ou économique. Il ne s’agit pas de dire que les problèmes viennent des habitants mais que ce type d’exercice permet surtout de mettre en lumière les difficultés qui surgiront de l’acceptation des changements par la population, puisque les acteurs sont en première ligne. Par exemple, à Allonnes, les habitants ont visiblement du mal à imaginer la population urbaine autrement que comme un tout homogène, qui pourrait être remplacé par un autre ensemble tout aussi homogène, alors que l’avenir de la ville passera forcément par une diversification de la population, en termes d’âges, de classes, de pratiques, d’origines, etc.
La réunion 5, dernière rencontre avec les habitants, est l’occasion d’approfondir, formaliser et de hiérarchiser les points cardinaux ressortis des échanges précédents. Les experts pourront alors transcrire les résultats sous la forme d’un tableau de bord, récapitulant les manipulations et les réglages à prendre en compte dans l’élaboration d’une politique d’avenir de la ville. Il ne s’agira pas de proposer des possibles pour la ville mais de lister les incontournables autour desquels se construira son avenir et de définir une marge de manœuvre du point de vue des habitants. Par exemple, à Calais, l’avenir urbain ne pourra pas s’imaginer indépendamment de la voiture et de la place qu’elle occupera, bien que la mode soit aujourd’hui à la piétonnisation et à la réduction de la circulation automobile dans les villes. À Vénissieux, les efforts mis en œuvre pour améliorer la ville par des opérations de rénovation et d’urbanisme (notamment la création d’un tramway) devront très probablement laisser la place à un travail poussé sur l’éducation culturelle de la population, pour construire un rapport plus moderne et plus intégré à la ville et à la façon de l’habiter.
Ces deux réunions font à leur tour l’objet d’une seconde synthèse, qui doit constituer le socle de la restitution de résultats présentée aux élus et aux professionnels lors de la sixième et dernière réunion (la deuxième avec eux, en fin de cycle). Cette synthèse fera apparaître clairement et de manière pédagogique (en s’appuyant sur des exemples précis et des citations), le radar et le tableau de bord, élaborés par les experts sur la base des réunions 4 et 5. De manière à ce que la lecture en continu des synthèses de la phase 1 et de la phase 2 permette de se faire une idée claire et rapide des logiques et (dys)fonctionnements de chaque ville, des évolutions auxquelles elle peut prétendre et des conditions et enjeux à prendre en compte pour y parvenir.
La sixième et dernière réunion est une réunion participative, au même titre que les cinq autres. Si c’est un moment de transmission aux élus et professionnels de ce qui est ressorti des réunions précédentes, c’est aussi un moment de travail, durant lequel sont enregistrées les réactions de ces derniers, en vue de faire progresser la conception de la vision prospective finale. Selon les cas, l’exposé fait aux élus durant cette séance sera plus ou moins nettement marqué par l’esquisse d’éléments prospectifs, ou au contraire par des éléments rapportant la parole des habitants.
Chaque réunion fait l’objet d’un compte-rendu (cf. point précédent), qui est déjà une première forme d’élaboration des échanges, dans la mesure où elle comporte une sélection, un classement et une première synthèse, orientant les contenus vers l’objectif visé. Cela permet de construire une progression systématique d’une réunion à l’autre, la précédente servant de socle à la suivante pour avancer dans un travail collaboratif avec les habitants.
Pour garantir des résultats optimaux à l’exercice, il est important de respecter la place des experts et la répartition des tâches entre les différents acteurs présents. Il faut éviter de demander des élaborations aux habitants, dont ce n’est pas le rôle, et essayer autant que possible de recueillir du matériau brut auprès d’eux. Il faut donc que chaque réunion soit abordée de telle manière que la conversation avec les habitants, via des sujets a priori neutres, permette d’accumuler de l’information avec le minimum de traitement préalable.
Une telle démarche permet de limiter les échanges à portée générale autour de solutions toutes faites ou d’idées reçues sur la ville, pour entrer directement dans le vif du sujet et dans ce qui fait la valeur ajoutée de la participation des habitants : leur point de vue d’insiders sur la ville et leur quartier. Par exemple, en R3, pour pouvoir établir la carte des ressources de la ville, il ne faut pas poser la question directement aux habitants de définir les potentialités de leur ville ou de leur quartier, mais les amener à décrire leur ville, à en dessiner une carte en direct, sur la base de laquelle les experts déduiront les ressources. De même, en R1 et R2, pour pouvoir identifier un cap prospectif, il ne s’agit pas de demander aux élus ou aux habitants comment ils imaginent leur ville dans 30 ans mais de les inviter à parler de leurs parcours personnels (en termes géographiques), desquels les experts déduiront les (dys)fonctionnements de la ville et donc le cap à retenir pour les exploiter/corriger.
Les experts sont un maillon incontournable de l’exercice pour assurer sa réussite. Néanmoins, ils n’occupent pas toujours la même place au fur et à mesure du déroulement des réunions, bien qu’il soit préférable qu’un expert soit toujours présent, en soutien de l’animateur. En effet, l’écoute attentive des échanges entre les habitants ainsi qu’une prise de notes aussi exhaustive que possible, sont plus sûrement atteintes en duo qu’en solo.
Pour autant, l’expert est surtout nécessaire aux deux extrémités de l’exercice :
La place de l’expert est aussi variable en termes de prise de parole pendant les réunions. Volontairement en retrait pendant la phase d’observation et d’évaluation (phase 1), il sera davantage présent dans les échanges durant la phase 2, qui requiert d’aider les habitants à se de projeter dans l’avenir de la ville. La démarche n’étant pas du tout naturelle et la tendance étant systématiquement à prolonger dans le temps des situations déjà existantes ou à s’inspirer de modèles autres dont le cas ne s’applique pas forcément à la ville en question, l’expert aura alors un rôle crucial dans l’orientation des échanges et dans la proposition d’idées concrètes et vraisemblables sur lesquelles réfléchir.
Les correspondants de chaque ville, c’est-à-dire les personnes désignées par les services de la mairie pour jouer le rôle d’intermédiaire entre le cabinet d’étude, éventuellement un service de l’Etat comme le SG-CIV, les habitants et les décideurs, sont des piliers incontournables pour la réussite de l’exercice. Leur rôle est de porter l’exercice auprès des élus et auprès des habitants et d’en assurer le suivi de bout en bout, y compris en termes d’organisation logistique (gestion des réunions, du calendrier, préparation des salles, relance des habitants, etc.).
Ils ont la lourde tâche de recruter les groupes de participants, aussi bien pour les habitants — qu’il faut identifier, contacter, convaincre et relancer régulièrement — que pour les élus et professionnels — qu’il faut également convaincre de venir et informer régulièrement du déroulement de l’exercice. C’est pourquoi il est recommandé de prévoir une session de formation des correspondants en amont de l’exercice, pour leur assurer une compréhension pleine et entière de la forme et du fond, qu’ils pourront ensuite défendre et transmettre plus facilement dans leur ville.
À cette occasion il sera important de leur rappeler que les réunions prévues au titre de l’exercice de prospective participative ne sont pas des réunions de travail internes à la mairie. Car la tentation est grande pour certains correspondants d’utiliser ces réunions pour discuter des problèmes courants avec des habitants qu’ils n’ont pas d’autres occasions de rencontrer et qui sont de ce fait des sources d’information précieuses. Il faut au contraire qu’ils jouent le jeu de la participation, en prenant part à la conversation comme un citadin lambda, sans se mettre dans la posture du chargé de mission municipal.
Avant même cela, il est important de choisir un correspondant qui soit volontaire pour cette mission et qui dispose d’un statut suffisamment important au sein de la mairie pour pouvoir porter correctement l’exercice auprès des élus. Une personne trop bas placée dans la hiérarchie risque de voir son rôle, aussi bien rempli soit-il, handicapé par un manque d’écoute et de confiance de la part des décideurs.
Au vu de l’expérience écoulée, il semble souhaitable qu’un élu soit systématiquement associé au correspondant pour que le portage politique de l’exercice soit réalisé par un pair et non par un subalterne. Les fonctions seraient alors nettement définies, entre le correspondant qui sera en charge de toutes les questions opérationnelles, des plus sensibles comme la composition des groupes aux plus pratiques comme l’organisation des réunions, et l’élu référent qui sera en charge de tenir le reste des décideurs au courant des avancées de l’exercice et de les convaincre de son intérêt.
Pour ce faire, il faut assurer à l’un comme à l’autre des moyens de suivi réguliers, d’autant plus que les élus ne sont en principe pas admis dans l’arène des échanges entre habitants et qu’ils ne peuvent pas suivre les réunions en direct, comme c’est le cas des correspondants. C’est pourquoi il est conseillé de produire les comptes-rendus des réunions au fur et à mesure et d’effectuer un rendu intermédiaire à la fin de chaque phase, comportant les synthèses des réunions et des éléments de bilan méthodologique. Ce matériaux pourra être utilisé par les correspondants et l’élu référent pour porter l’exercice en interne et auprès des habitants si nécessaire.
Pour améliorer la réception de l’exercice et donc optimiser sa future utilisation dans l’établissement des politiques urbaines, on peut aussi organiser une réunion supplémentaire avec l’ensemble des élus et des professionnels, à mi-parcours, afin de les intégrer davantage dans l’exercice et de ne pas les placer uniquement en position de lancement et de jugement final.
L’expérience des réunions 6, avec les élus et les professionnels, sur le travail effectué avec les habitants, montre qu’il est nécessaire d’impliquer les élus de manière plus participative à l’exercice. Par exemple, en organisant des réunions de travail intermédiaires au début de chaque phase entre le correspondant, le ou les experts, l’animateur et l’élu référent. Une meilleure connaissance de l’exercice et de la méthode, ainsi qu’une vision plus précise du travail effectué avec les habitants, facilitera sans doute son portage auprès des autres élus.
Il semble particulièrement important que l’élu référent de l’exercice ait été lui aussi « formé » à la méthode avant la première réunion en présence des élus et des professionnels, afin que l’approche participative appliquée sans distinction aux groupes d’habitants et d’élus, ne soit pas trop surprenante et n’entraîne pas de réaction de rejet, pouvant compromettre le succès de cette première réunion.
En effet, pour une bonne réussite de l’exercice, il est important que les élus soient dans une posture collaborative, de travail collectif sur la construction d’une prospective urbaine, appuyée sur la base d’une participation des habitants. Une posture critique et distanciée, portant jugement sur les résultats d’une prestation, ne permettrait pas à ces derniers de pouvoir se saisir de tout ce que les échanges entre habitants et experts ont pu produire d’intéressant et de nouveau.
Les groupes d’habitants participant aux exercices de prospective participative n’étant pas représentatifs de la population des ZUS ou de la ville en général, il est inutile d’essayer de les composer selon ce critère. Les groupes doivent en moyenne comporter 8 à 12 personnes, 10 étant un nombre très efficace pour assurer des échanges riches et diversifiés, tout en donnant à chacun la possibilité de s’exprimer s’il le souhaite, dans le temps imparti par la réunion. Pour que les propos tenus en réunions soient significatifs, c’est-à-dire révélateurs de logiques de (dys)fonctionnement urbaines pertinentes pour comprendre et projeter la ville, il est important de varier autant que possible les profils des participants. On enrichira ainsi les pratiques et les points de vue qui seront échangés, et donc les matériaux recueillis en vue de l’élaboration. Voici une liste indicative de profils souhaitables au sein des groupes :
La composition des groupes d’habitants variera de toute façon selon les disponibilités et les profils des villes partenaires, mais il existe deux écueils à éviter systématiquement : pas d’habitants « professionnels », qui soient déjà insérés dans les conseils de quartier et autres activités de démocratie participative, pour éviter de fausser le rendu et avoir des habitants qui ne soient pas rompus à ce type d’expérience. Pas non plus, à l’autre extrême, de cas sociaux, qui auront le plus grand mal à se sortir des terribles difficultés du quotidien pour se projeter dans le futur de la ville.
Enfin, pour chaque groupe, il est nécessaire de chercher des personnes prêtes à s’investir, à faire l’effort de venir aux quatre réunions et capables de prendre la parole dans un collectif en étant compréhensibles. Il est donc nécessaire de prendre le temps d’expliquer au préalable à chaque personne pressentie, la nature de l’exercice, son déroulement, ses enjeux et ce qui sera attendu d’elle, de manière à ce qu’elle s’engage sciemment et qu’elle puisse ensuite s’y tenir.
Concernant le recrutement, il est conseillé aux correspondants de chaque ville de recourir à des personnes ressource ayant une bonne connaissance du quartier choisi et ayant des réseaux sur place, en veillant cependant à ce que ces dernières ne les renvoient pas sur des habitants « professionnels ». Il est également recommandé d’inclure le cabinet de conseil dans la phase délicate de recrutement des habitants, pour aider la ville à composer un groupe qui soit vraiment significatif et capable de porter l’exercice.
Au vu de l’expérience menée pour cet exercice entre février et octobre 2010, il est préférable de rapprocher les réunions en évitant de laisser passer plus de deux semaines entre chacune, pour boucler le processus entier en deux à trois mois. En effet, l’étalement des réunions sur neuf mois, avec une interruption estivale de trois mois et un espacement moyen des réunions habitants de 3 à 4 semaines semble trop long.
À ce rythme, les groupes ont du mal à garder leur cohérence de réunion en réunion, ce qui pose un vrai problème dans la mesure où celles-ci sont construites selon une progression qui dépend d’un groupe stable pour bien fonctionner. Le départ et/ou l’arrivée de nouveaux participants en cours de route est déstabilisant pour le collectif et pose un problème de rattrapage des derniers arrivés.
Pour éviter ce type de problème, il faudra également insister auprès des habitants sur le fait qu’ils doivent s’engager à assister aux quatre réunions de l’exercice lorsqu’ils acceptent de faire partie du groupe. Ce qui implique aussi d’avoir arrêté les dates au préalable, afin de les communiquer d’emblée aux candidats, qui pourront ainsi vérifier leurs disponibilités pour toutes les réunions.
De plus, avec un laps de temps trop long entre deux réunions, la plupart des habitants tendent à oublier complètement ce qui s’est dit la fois précédente, y compris les explications théoriques que l’expert ou l’animateur auront pu fournir. Ce qui oblige à tout reprendre à chaque réunion et fait ainsi perdre un temps précieux. Une tendance qui vaut autant pour les habitants que pour les élus, qui ne sont intégrés à l’exercice qu’en tout début et en toute fin, avec neuf mois d’intervalle dans le cas présent.
Pour que la conversation ait véritablement le temps de se mettre en place, avec un groupe en confiance et une parole libérée, qui prenne le temps d’approfondir les thèmes abordés, il faut prévoir des réunions d’au moins 3 heures. C’est en général dans la dernière heure que sortent les éléments les plus importants, une fois que la glace a été rompue et que les échanges se sont faits plus directs. Pour avoir tous les profils souhaités dans le groupe, il est recommandé de fixer les réunions après 17h00 ou 17h30, afin de laisser le temps aux actifs de se rendre sur place. Avec les élus et les professionnels, plus rompus à la pratique et aux emplois du temps plus difficilement conciliables, des réunions de 2 heures trente à 3 heures peuvent suffire.
Au cours de l’exercice effectué, les lieux de réunion ont oscillé dans les sept villes partenaires entre une salle dans un lieu central, qui s’est révélé être systématiquement la mairie, et une salle située dans le quartier ZUS faisant l’objet de l’exercice. En termes de faisabilité et d’attractivité, l’un ou l’autre lieu n’a pas semblé particulièrement plus efficace que l’autre, les habitants des ZUS étant parfaitement capables de se déplacer en centre-ville si les horaires des réunions sont adaptés en conséquence et s’ils en ont connaissance suffisamment à l’avance.
Dans ce contexte, il est probablement plus productif de faire le choix de tenir systématiquement les réunions à la mairie, pour passer un message fort aux habitants, celui de la centralité : ils sont invités à se rendre au cœur du centre-ville pour venir réfléchir ensemble à l’avenir de celle-ci, ce qui assez logique.
Le cas échéant, il sera nécessaire pour le(s) expert(s) et l’animateur de réserver un temps de visite et d’observation du reste de la ville et notamment du quartier ZUS concerné, avant les réunions en mairie, afin d’avoir une vision plus précise et plus concrète des lieux dont il sera question dans les échanges.