Évreux

Des espaces légitimes


Agrandir le plan

État des lieux en 2010

Une rénovation urbaine qui rencontre ses limites

Évreux a multiplié les opérations de rénovation urbaine (concernant notamment le parc de logements) dans le quartier de la Madeleine, qui a également vu s’installer l’hôtel d’agglomération, et des interventions de réhabilitation dans le centre-ville. La volonté est nette de redynamiser la ville et de ne pas laisser gangréner des quartiers d’habitat social à l’architecture en barres, tels que celui de la Madeleine.

Avec le cas de Navarre, la ville se heurte néanmoins à des questions plus complexes, dans la mesure où les problèmes urbains posés ne tiennent pas à la qualité des logements ou à l’offre de services et de commerces de proximité. Le quartier de Navarre, qui n’est d’ailleurs pas classé ZUS, présente un parc de logements diversifié et en bon état, un environnement de qualité à proximité de la forêt et de l’Iton et une petite offre urbaine de proximité. Il ne connaît donc pas les problèmes de base des grands ensembles des années 1060-70 et ne peut pas trouver de solutions viables dans les démarches se résumant à « l’archi-urba », c’est-à-dire à des interventions relevant uniquement de l’architecture et de l’urbanisme.

Navarre est, en revanche, symptomatique d’un problème de fonctionnement spatial qui caractérise Évreux, celui d’une difficulté de plus en plus grande de la ville à organiser sa cohésion et son unité. Mis à part le centre-ville, qui fonctionne bien pour une ville de cette taille, les autres quartiers semblent assez mal intégrés à l’espace urbain ébroïcien, tant du point de vue des liaisons de transport que de celui des pratiques et des représentations.

Le problème qui se pose est donc celui de redonner une unité et une gouvernance d’ensemble à la ville, ce qui ne peut être réalisé par des interventions d’ordre strictement architectural ou urbain, encore moins si elle sont distillées par quartier, comme autant de bulles autonomes dont il faudrait résoudre les problèmes séparément. 

Navarre, une zone périurbaine ?

Le quartier de Navarre, bien qu’il soit situé à proximité du centre-ville et qu’il appartienne clairement à l’ensemble urbain d’Évreux, sans discontinuité majeure le séparant du reste de la ville, se comporte comme une périphérie périurbaine. Son nombre important de maisons individuelles, son fonctionnement autarcique, la posture de ses habitants se voyant comme un village aux portes d’Évreux plutôt que comme un quartier de la ville, sont autant de signes de ce statut à part.

D’ailleurs, les participants aux réunions, tous habitants de Navarre, ont eu le plus grand mal à comprendre et à accepter que leur quartier ait été choisi pour cet exercice de prospective urbaine, dans la mesure où ils ne sentaient pas appartenir à la ville d’Évreux et donc pas aptes à penser son avenir. Un des propos les plus récurrents en réunion a d’ailleurs été celui de l’autonomie historique de Navarre, qui aurait dû sa croissance aux industries voisines, en parallèle et non en lien avec la ville d’Évreux. Ce qui illustre bien la représentation que les habitants ont de la ville, comme un voisin concurrent plutôt que comme un contenant, dont la croissance aurait permis l’essor industriel grâce auquel a vécu le quartier au XXe siècle.

Vis-à-vis de Navarre, Évreux, ou plus précisément son centre-ville, apparaît comme un centre de services, dans lequel se rend la population pour les opérations qu’elle ne peut effectuer à proximité, tout comme le font les habitants du périurbain normand environnant. Malgré leur rattachement administratif, les habitants de Navarre ne vivent pas à Évreux, ils s’y rendent en cas de besoin. Et s’ils envisagent un lien, même strictement fonctionnel, avec le centre-ville, ce n’est pas du tout le cas avec les autres quartiers, qui ne font quasiment pas partie de leur horizon géographique, sauf obligation professionnelle.

Une ambiance de défiance entre Navarre et la municipalité

L’espace fonctionnel sur lequel s’exerce l’autorité de la municipalité ébroïcienne, comprenant Navarre, ne correspond pas à l’espace légitime tel que l’envisagent les habitants. Ces derniers ne reconnaissent pas comme légitimes les prises de décision de la mairie sur leur quartier parce qu’elles sont vécues comme une intrusion injustifiée qui s’abattrait sur le quartier sans possibilité de discuter ou d’agir dessus.

L’installation près de Navarre de l’équipement hospitalier destiné à assurer les soins de toute la région est vécue négativement par les habitants, qui n’en comprennent pas les avantages et qui regrettent de ne pas avoir été inclus dans le processus décisionnel ayant abouti à ce projet. Les décisions prises pour la ville et ayant des répercussions sur le quartier de Navarre sont perçues comme non transparentes et non participatives, comme si une autorité éloignée les prenait sans autre forme de consultation.

Ne se sentant pas appartenir à l’ensemble urbain ébroïcien, les habitants de Navarre ont du mal à dépasser les questions particulières concernant strictement leur quartier pour s’intéresser à l’intérêt général de la ville. Par exemple, l’intégration d’Évreux dans l’espace urbain parisien et notamment dans le processus du Grand Paris, qui est poursuivie comme un objectif majeur par les autorités communales, est considérée comme une évolution négative par les habitants de Navarre, qui craignent de voir la densité de l’habitat augmenter dans leur quartier et d’assister à une arrivée massive de Parisiens venus « consommer du pavillon ».

Cette divergence forte, incarnée à Navarre par des représentants associatifs militants, comme les membres de l’Amicale de Navarre, n’est pas favorable à une dynamique de collaboration entre la municipalité et le quartier. La première n’étant pas forcément encline à intégrer le second dans les processus opérationnels, par crainte d’une opposition irréconciliable et donc d’un allongement considérable des temps de décision.

Vision prospective pour 2040

Évreux, un pôle qualitatif du Grand Paris

Évreux sera devenue le centre de services d’une zone résidentielle périurbaine autour de l’axe de la Seine. Pôle qualitatif du Grand Paris, elle aura su faire la différence et s’imposer comme une ville incontournable dans le réseau s’étendant autour de la capitale vers Rouen et Le Havre.

Situé dans l’Ouest parisien, dans une zone bien dotée en ressources naturelles (forêt, Iton, Seine, champs) et peu dégradée par les paysages industriels, Évreux est parvenue à attirer les actifs parisiens travaillant dans les pôles économiques renforcés autour de La Défense et de Versailles, en leur offrant un environnement plus qualitatif, moins coûteux mais particulièrement bien relié, tant à la capitale qu’à la côte Atlantique.

Elle a ainsi réussi à sortir son épingle du jeu dans la concurrence qui l’opposait à Rouen, mieux placée dans l’axe Paris-Le Havre, mais plus éloignée de la capitale et surtout disposant de moins d’atouts d’attractivité résidentielle. En tant qu’ancienne ville industrielle et manufacturière, Rouen porte encore les stigmates de son passé et ne parvient pas à attirer les résidents parisiens en manque d’espaces verts.

Cette réussite est également due au fait qu’Évreux est parvenue à éviter la déconnexion du centre-ville avec les périphéries proches comme Navarre, en privilégiant les liaisons directes, sans forcément tout subordonner au passage par le centre-ville. la mise en œuvre d’un système de transports fluide et décentralisé, limitant les ruptures de charge en évitant les arrêts inutiles par le centre, a permis à la ville toute entière de se connecter au système, sans laissés pour compte.

Navarre, la fin du repli localiste

Le quartier de Navarre sera sorti des débats micro-locaux, portant sur la préservation de l’équilibre entre maisons individuelles et petit collectif par exemple, pour envisager des aménagements à l’échelle de l’agglomération et des équipements qui conviennent à cet objectif, tels que le nouvel hôpital.

De ce fait, Navarre aura abandonné son statut de village urbanisé à contre cœur pour entrer dans une politique d’aménagement ambitieuse, exploitant la proximité urbaine d’Évreux centre et de la capitale, plutôt que de la craindre. Ainsi, les grandes parcelles autour du quartier, offrant un espace précieux dans une région gagnée par la densité métropolitaine parisienne, auront été aménagées en conséquence.

Que le choix d’aménagement ait porté sur la construction d’une zone à haute valeur environnementale, préservant les zones vertes et pariant sur l’enseignement supérieur et la recherche dans le domaine de l’écologie, ou qu’il ait privilégié un développement résidentiel pour accueillir les besoins d’une population de plus en plus nombreuse, les décisions auront été prises dans l’intérêt de la ville toute entière et dans la perspective de son intégration dans le Grand Paris.

Une gestion innovante

La méthode d’aménagement aura elle aussi changé, puisqu’elle sera devenue transparente  avec le souci de concilier les attentes des habitants aux différentes échelles, depuis la proximité du quartier jusqu’à la projection dans le réseau urbain régional. D’importants efforts de pédagogie et de communication auront été déployés pour assurer la transmission des informations de part et d’autre.

Grâce à l’expérience accumulée durant le processus d’intégration au Grand Paris, Évreux sera à la pointe de l’innovation en matière de démocratie participative et  de systèmes décisionnels ouverts. Elle aura testé toute une série de dispositifs permettant d’augmenter l’implication de la population dans les décisions opérationnelles pour la ville, et sera parvenue à mettre en place des processus permettant d’inclure aussi bien les résidents que les présents, c’est-à-dire toutes les personnes pratiquant la ville au quotidien et contribuant à la faire vivre.

En trois décennies, Évreux est devenue une référence en matière de gestion des espaces urbains composites, caractérisés par un centre fonctionnel relié à une vaste périphérie périurbaine. Elle aura développé des systèmes de consultation et de décision, capables de mettre en rapport des types d’espaces aux fonctionnements très différents mais dépendants les uns des autres. La ville sera un véritable laboratoire d’innovation dans le management de l’hétéronomie (agir selon un système de règles dont on n’est pas le seul auteur) pour le développement urbain des villes moyennes, inscrites dans les réseaux urbains des grandes métropoles mondiales.

Orientations stratégiques pour 2020

Conception d’une offre urbaine compatible avec les perspectives du Grand Paris

Dans le contexte actuel, la priorité d’Évreux n’est plus à la résolution ponctuelle de problèmes territoriaux, comme la rénovation urbaine de quartiers en difficulté, mais à la gestion d’une intégration réussie dans le réseau urbain parisien. Évreux ne peut plus se concevoir comme un territoire autonome, dont les actions de développement se limitent aux frontières communales, voire de l’agglomération, mais comme un nœud dans un réseau urbain dont Paris est le moteur.

Cette situation de dépendance vis-à-vis d’une autre entité urbaine peut paraître fragilisante, mais elle constitue le principal atout d’avenir de la ville si celle-ci parvient à s’en emparer. Le principal objectif stratégique doit donc être de développer les capacités relationnelles de la ville et ses connexions, pour qu’elle puisse bénéficier au maximum de la dynamique de croissance parisienne.

Cela passe notamment par la capacité de ses dirigeants à trouver une écoute dans les instances adéquates, tant au niveau de la région qu’au niveau national, pour infléchir, par exemple, le tracé de la ligne ferroviaire en projet ou le positionnement de la future gare. Ce qui permettra d’inclure Évreux dans les grands axes d’avenir et d’en faire une étape incontournable.

Intégrer Navarre et le centre

Là encore, l’essentiel des efforts devrait porter sur les connexions, plutôt que sur les aménagements statiques tels que les logements ou les équipements. D’après l’état du quartier actuellement et les attentes exprimées par les habitants, Navarre a surtout besoin d’être davantage relié, pour qu’une intégration progressive à l’ensemble urbain puisse s’opérer dans les esprits et dans les pratiques.

Une intégration avec le centre-ville, tout d’abord, par une amélioration des liaisons de transport publics, qui mériteraient d’être plus directes. La ligne de bus reliant le quartier au centre gagnerait à être cadencée pour un usage quotidien et spontané, permettant aux habitants de se rendre au centre « sur un coup de tête » et pas en ayant préalablement consulté les horaires de passage et planifié leur déplacement.

Un tel rapprochement du centre-ville dans la pratique permettrait certainement de gommer progressivement le sentiment autarcique expérimenté par les habitants et pourrait peut-être attirer une nouvelle population, intéressée par un quartier à l’environnement de qualité, proche du centre-ville mais plus accessible économiquement et offrant davantage de place. Ce qui augmenterait la diversité du quartier et son niveau d’urbanité, en diminuant la coupure existant pour l’instant avec le reste de la ville.

Intégrer Navarre et la capitale

La connexion de Navarre pourrait également porter sur la mise en relation avec Paris, par une liaison directe et fréquente entre le quartier et la gare ferroviaire. Les habitants ont, par exemple, regretté le temps où les horaires nocturnes des trains permettaient de se rendre au spectacle à Paris et de rentrer dans la soirée, profitant ainsi de l’offre culturelle parisienne, tout en ne résidant pas dans la capitale. Il pourrait être tout à fait stratégique de rétablir cette possibilité — couplée à une desserte en bus du quartier — afin d’opérer une intégration à une autre échelle.

Un lien qui pourrait à la fois contribuer à insérer Navarre dans la dynamique du Grand Paris, en parallèle et en harmonie avec le reste d’Évreux, mais aussi stimuler l’intérêt des parisiens pour un tel lieu de résidence, proche de l’offre urbaine parisienne en termes d’activité et de loisirs, mais suffisamment éloigné pour ne pas en avoir les inconvénients en termes de coûts, de stress, de pollution, etc.

Retrouver la transparence

Un des principaux besoins rencontrés par la ville et exprimé par les habitants de Navarre est celui d’une plus grande transparence dans les processus décisionnels concernant Évreux. Les habitants ont regretté de ne pas être suffisamment informés, d’être consultés uniquement pour la forme sans avoir réellement d’influence sur les décisions, de ne pas disposer d’instances de médiation efficaces, faute de conseils de quartiers opérationnels.

Il est donc nécessaire de mettre en œuvre des processus démocratiques et participatifs différents, qui dépassent cette difficulté et qui permettent de refonder un lien de confiance entre les autorités municipales et les habitants. L’enjeu étant principalement de redonner une légitimité aux uns et aux autres, qui soit communément reconnue et incontestée.

De plus, la réunion de la population autour d’une réflexion commune, à bien plus vaste échelle que le groupe de réunion de l’exercice de prospective participative, pourrait également être bénéfique pour la création d’un sentiment d’appartenance partagée à l’ensemble urbain ébroïcien, qui contrebalancerait la forte division par quartiers caractérisant la ville.

Concours d’idées : une nouvelle légitimité

Le principe du concours d’idées peut apparaître comme une solution intéressante dans la mesure où il permet de ne pas choisir a priori entre un processus décisionnel top-down, qui impose aux habitants des décisions prises au niveau municipal et un processus bottom-up, qui donne la priorité aux habitants. Le concours d’idées permet à chacun de s’exprimer, de proposer et d’être écouté publiquement, il donne la possibilité aux habitants de jauger les différentes options, tout en réservant le choix final aux autorités municipales.

La commune de Cogolin a mis en œuvre un processus de ce type depuis l’automne 2009 pour l’aménagement d’une parcelle de 13 hectares en bord de mer. L’appel à projet était ouvert à tous les participants, amateurs et professionnels, et les différentes propositions ont fait l’objet d’une audition publique, ainsi que d’une exposition. Les habitants ont pu exprimer leur opinion à travers une « boîte à avis » et poser leurs questions au cours des auditions. Le processus a visiblement rencontré un taux de participation non négligeable, tout comme une couverture médiatique assez importante. Les autorités municipales choisiront courant 2010 le(s) candidat(s) retenu(s) in fine, suite à des débats publics et internes au conseil municipal.

Les réunions effectuées dans le quartier de Navarre, avec moins d’une dizaine de participants, ont déjà fait apparaître l’existence d’au moins deux projets différents pour le développement du territoire ébroïcien, portés par l’Amicale de Navarre d’une part et par des particuliers d’autre part. Un concours d’idées permettrait certainement d’en faire émerger bien d’autres et de placer les citoyens sur un pied d’égalité quant à la vision d’avenir de leur ville.

Menu